Comment l’obésité et le changement climatique s’entre alimentent-ils ?

En 2018 An.R et collaborateurs ont publié la revue « Global warming and obesity: a systematic review » dans le journal obesity reviews (impact factor 8.483 en 2017, pour plus d’informations sur les impact factors et leurs significations vous pouvez suivre mon article ici). Cette revue est une méta analyse portant sur 50 articles parlant à la fois de l’obésité et du changement climatique. L’équipe de scientifiques a mené une recherche documentaire dans les publications PubMed, Web of Science, EBSCO et Scopus jusqu’en juillet 2017, qui présentait des conclusions sur la relation entre le réchauffement climatique et l’épidémie d’obésité. Les articles ont été classés en quatre relations: le réchauffement climatique et l’épidémie d’obésité sont corrélés en raison de facteurs communs (n ​​= 21); le réchauffement climatique influence l’épidémie d’obésité (n = 13); l’épidémie d’obésité influence le réchauffement climatique (n = 13); et le réchauffement climatique et l’épidémie d’obésité s’influencent mutuellement (n = 3). Les auteurs ont ici construit un modèle conceptuel liant le réchauffement climatique et l’épidémie d’obésité.

INTRODUCTION

Le réchauffement climatique et l’obésité sont deux défis sans précédent auxquels l’humanité est confrontée aujourd’hui. Le réchauffement de la planète fait référence à l’augmentation progressive de la température globale de l’atmosphère terrestre imputable à l’effet de serre résultant des émissions excessives de dioxyde de carbone et d’autres polluants.

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Les conséquences du réchauffement planétaire incluent, sans toutefois s’y limiter, des conditions météorologiques variables, des vagues de chaleur, de fortes précipitations, des inondations, des sécheresses, des tempêtes plus intenses, la hausse du niveau de la mer et la pollution de l’air. Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a déclaré dans son rapport: « L’ensemble des données publiées indique que le coût net des dommages causés par le changement climatique sera probablement considérable et qu’il augmentera avec le temps ».

Reconnaissant l’impact profond du réchauffement climatique sur la santé aux États-Unis et dans le monde, les centres américains de contrôle et de prévention des maladies ont établi leur programme Climat et santé en 2006. Ses missions consistent notamment à identifier les populations vulnérables au réchauffement climatique, à prévenir les impacts actuels et anticipés sur la santé et à s’y adapter, et à veiller à ce que des systèmes soient en place pour détecter les menaces émergentes pour la santé et y faire face. L’obésité est l’une des principales causes de morbidité et de mortalité prématurée aux États-Unis et dans le monde.

L’obésité augmente les risques de diverses maladies chroniques telles que le diabète de type 2, l’hypertension, la dyslipidémie, les maladies coronariennes et certains types de cancer. De nombreux pays à travers le monde ont connu une augmentation de la prévalence de l’obésité / de l’embonpoint au cours des trois dernières décennies chez les adultes et les enfants. On estime qu’à l’heure actuelle, environ 40% de la population adulte mondiale est en surpoids ou obèse.

En tant que plus grand pays développé, les taux d’obésité et de surpoids ont plus que doublé aux États-Unis entre 1976 et 1980 et entre 2013 et 2014, les deux tiers des adultes américains étant actuellement en surpoids ou obèses. En Chine, premier pays en développement et deuxième économie mondiale, les données nationales ont montré qu’en 2015, 43% des adultes étaient en surpoids ou obèses. En France en 2018, une personne sur deux était en surpoids et plus de 15,5 % des hommes et des femmes étaient touchés par l’obésité.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a élaboré le Plan d’action mondial de lutte contre les maladies non transmissibles 2013-2020, qui vise à réduire de 25% le taux de mortalité prématurée due aux maladies non transmissibles d’ici 2025 et d’arrêter la progression de l’obésité dans le monde. Selon les projections, les dépenses médicales des États-Unis imputables au surpoids et à l’obésité devraient atteindre entre 861 et 957 milliards de dollars d’ici 2030, soit entre 16 et 18% du coût total des soins de santé aux États-Unis. Malgré une longue série de recherches sur le réchauffement climatique ou l’épidémie d’obésité, ce n’est qu’au début du 21e siècle, en particulier au cours de la dernière décennie, que la recherche scientifique a commencé à examiner conjointement ces deux phénomènes mondiaux.

Des questions fondamentales ont été posées, telles que les suivantes: Le réchauffement climatique et l’épidémie d’obésité ont-ils des déterminants communs? Est-ce que l’un influence l’autre ou s’influencent-ils? Si oui, quels sont les principaux itinéraires? Les réponses à ces questions peuvent être très instructives pour les décideurs et les parties prenantes du monde entier dans le but de traiter ces deux problèmes.

Quelques revues d’experts et / ou critiques ont examiné le réchauffement climatique en relation avec l’épidémie d’obésité. Cependant, aucun d’entre eux n’a procédé à une analyse systématique exhaustive de la littérature pertinente et leurs conclusions ont donc été compromises par un manque de représentativité et un biais de sélection en fonction des études.

Néanmoins, ils ont fourni des informations précieuses sur le sujet. Sur la base de travaux antérieurs, les auteurs ont effectué la première revue systématique sur la relation entre le réchauffement de la planète et l’épidémie d’obésité. Ils ont émis l’hypothèse que le réchauffement climatique et l’épidémie d’obésité partageraient certains moteurs communs, mais s’influenceraient et se renforceraient mutuellement par des voies spécifiques.

RESULTATS

Sur la base des quatre types de relations identifiées parmi les études sélectionnées concernant le réchauffement climatique et l’obésité, un modèle conceptuel associant réchauffement climatique et épidémie d’obésité a été créé.

Dans ce modèle, l’économie de combustible fossile, la croissance démographique et l’industrialisation ont une influence sur les terres l’utilisation et l’urbanisation, les transports motorisés et la productivité agricole et, par conséquent, influent sur le réchauffement climatique par des émissions excessives de gaz à effet de serre et l’épidémie d’obésité par une transition nutritionnelle et une inactivité physique.

Le réchauffement climatique a également une influence directe sur l’obésité par le choc des approvisionnements alimentaires / des prix et la thermogenèse adaptative, et l’épidémie d’obésité influe sur le réchauffement climatique par une consommation d’énergie élevée.


Organigramme de sélection de l’étude.

Corrélation entre obésité et changement climatique

10 études sur les 21 montrant une corrélation entre obésité et changement climatique préconisent d’augmenter les dépenses énergétiques personnelles. En effet, l’obésité, le diabète de type 2 et les maladies coronariennes ne résultent pas du changement climatique mais ont des causes communes avec ce dernier. Manger trop et trop peu utiliser ses muscles est fortement associé à l’obésité. L’inactivité physique généralisée serait actuellement impossible sans l’énorme consommation de combustibles fossiles, principal facteur anthropique de réchauffement de la planète. Le lien entre la suralimentation et la contribution de l’agriculture au réchauffement de la planète est tout aussi simple.

Les suggestions récurrentes sont de faire du vélo et de la marche afin de réduire la dépendance au pétrole ainsi que la quantité d’émission de gaz à effet de serre et améliorer dans le même temps la santé publique. Une substitution généralisée de la conduite aux distances parcourues au cours des exercices quotidiens recommandés pourrait réduire la consommation de pétrole, simplement aux États-Unis, de 38%. Dans le même temps, un individu moyen qui substitue cette quantité d’exercice recommandé à un moyen de transport brûlerait respectivement 12,2 et 26,0 kg de graisse par an pour la marche et le vélo.

5 de ces 21 études conseillent une transition vers un régime alimentaire à base de plantes conforme aux recommandations diététiques standards. Cette transition pourrait réduire la mortalité mondiale de 6 à 10% et les émissions de gaz à effet de serre liées à l’alimentation de 29 à 70% par rapport au scénario de référence de 2050.

Enfin, 12 autres études mettent un avant un problème systémique du monde actuel : L’obésité et le changement climatique sont des indicateurs de graves problèmes pour notre système économique fondé sur la consommation. Cela implique une surpopulation, une philosophie de consommation, un accès facile à l’énergie, et une utilisation immodérée des transports et une agriculture productiviste qui érodent les sols et donnent lieu à l’utilisation de nombreux agents chimiques dangereux. Ils préconisent donc un pouvoir politique taxant le carbone, favorisant la production locale ainsi qu’un confort de vie plus modeste n’encourageant pas la surconsommation.

Une action intersectorielle coordonnée est nécessaire dans toutes les communautés du monde de l’agriculture, de la nutrition, de la santé publique et du changement climatique afin de fournir des régimes alimentaires abordables, sains et à faible taux d’émission à toutes les sociétés.

Impact du changement climatique sur l’obésité   

13 études montrent un impact du changement climatique sur l’obésité. 8 d’entre elles montre qu’une augmentation moyenne de la température entraine une diminution de la dépense énergétique qui se traduit par une augmentation de la masse corporelle. 5 études montrent que l’effet du climat mène à l’insécurité alimentaire, notamment une diminution de l’accessibilité à l’eau.

Il est connu qu’une insécurité alimentaire dans les pays développés est souvent associée à un risque accru d’obésité plutôt qu’à une dénutrition. Les faits suggèrent que, lorsque les prix des denrées alimentaires augmentent, les groupes vulnérables et défavorisés commencent à orienter leur consommation vers des aliments à faibles coûts et riches en calories car ils sont plus abordables que des aliments frais plus sains. Ce mécanisme permettrait d’accélérer les épidémies de diabète et d’obésité.

Une étude pose la réflexion que les effets du changement climatique sur la santé découlant des modifications des facteurs de risque liés à l’alimentation et au poids pourraient dépasser les autres impacts sur la santé liée au climat. 1 étude montre cependant des effets positifs possibles du changement climatique sur la santé et l’obésité chez l’enfant par le biais de création de nouvelles politiques agricoles, changement de mentalité de consommation et de transport en réaction au changement climatique.

Impact de l’obésité sur le changement climatique

13 études se sont focalisées sur l’impact de l’obésité sur le changement climatique. 11 d’entre elles affirment que le niveau de CO2 par habitant est supérieur dans la population obèse. La libération de CO2 est particulièrement associée à la consommation de denrées d’origine animale.  Par rapport à une population d IMC normale , une population avec 40% d’obèses a besoin de 19% d’énergie de nourriture en plus pour sa dépense énergétique totale. Les émissions de gaz à effet de serre provenant de la production alimentaire et des déplacements en voiture en raison de l’augmentation de l’adiposité d’une population de 1 milliard d’habitants sont estimées entre 0,4 et 1,0 Gt d’équivalent de dioxyde de carbone par an. Une perte de poids de 10 kg chez toutes les personnes obèses et en surpoids entraînerait une diminution de 49,5 Mt de CO2 par an, ce qui correspondrait à 0,2% du CO2 émis dans le monde en 2007.

L’effet de la production de transport sur les émissions de CO2 s’accentue lorsque le taux d’obésité dépasse 33,7% et l’effet sur les émissions de N2O se détériore lorsque le taux d’obésité dépasse 22,5%. En outre, l’impact de l’agriculture et de l’élevage sur les émissions de N2O s’aggrave lorsque le taux d’obésité dépasse 20,2%. L’obésité augmente les émissions de GES en augmentant les besoins en carburant pour le transport des personnes plus lourdes, les émissions du cycle de vie résultant de la production alimentaire supplémentaire et les émissions de méthane de quantités de déchets organiques. Si des mesures appropriées sont prises pour ramener l’épidémie actuelle aux taux d’obésité de l’an 2000, le pays pourrait bénéficier d’une réduction de 2% des émissions de GES estimées à plus de 136 millions de tonnes d’équivalent CO2. Par conséquent, la réduction de l’IMC a des effets tout aussi bénéfiques pour l’environnement.

Cependant, 2 études dénoncent ces résultats expliquant que ces études encouragent la stigmatisation sur les personnes en surpoids / obèses et incluent des erreurs méthodologiques car les résultats reposent uniquement sur la responsabilité individuelle, qui ignore l’environnement obésogène.

CONCLUSION

Enfin, 3 études se sont focalisées sur les conséquences mutuelles du changement climatique et de l’obésité l’une sur l’autre. Elles reprennent les éléments cités précédemment selon lesquels les extrêmes climatiques nuisent à la production agricole et menacent la sécurité alimentaire. Lorsque les réserves de produits alimentaires traditionnels sont menacées, les populations autochtones dépendent de plus en plus d’aliments transformés malsains, ce qui entraîne un risque accru de diabète de type 2 et d’obésité. D’autre part, l’augmentation de la prévalence de l’obésité accroît la production alimentaire et l’utilisation de la voiture, faisant peser une charge accrue sur les ressources mondiales et alimentant le changement climatique.


Modèle conceptuel liant le réchauffement climatique et l’épidémie d’obésité.

OPINION 

La revue de la littérature en ce qui concerne les liens entre l’obésité et le changement climatique m’a semblé intéressant car je considère que peu d’informations diffusent sur ce sujet. Cette étude permet à la fois d’éclairer le lecteur sur les maladies métaboliques, puisqu’en effet 40 % de la population mondiale est considérée en surpoids, et de créer un pont avec le dérèglement climatique qui ne semble pas évident.

Il ne s’agit cependant en aucun cas de stigmatiser les personnes souffrant d’obésité puisque 1) la réduction de nombre de personnes obèses permettrait d’économiser 50 mégatonnes de CO2 par an, ce qui ne représente finalement que 2 % des émissions totales, 2) l’obésité est une maladie provoquant des changements physiologiques qui favorisent ensuite le diabète, les maladies cardiovasculaires ou encore neurodégénératives.

En revanche, cette méta analyse met en exergue la capacité de notre mode de vie à altérer notre santé et notre environnement. Des mesures politiques fortes sembleraient en mesure d’améliorer la situation actuelle comme le préconise le rapport 2018 du GIEC : taxation du carbone, favoriser le marché local (parfait contre-exemple du CETA), campagne d’isolation des bâtiments, arrêt de centrales à charbon et géothermique, favoriser le nucléaire, campagne de reboisement.

Les scénarios qui permettent de respecter l’objectif de 2°C d’ici à 2010 selon le GIEC impliquent de ne pas dépasser des niveaux d’émissions mondiales annuelles de 30 à 50 milliards de tonnes CO2eq (équivalent CO2) en 2030. Pour atteindre cet objectif, il faudrait réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 40% à 70% en 2050. Les émissions mondiales de CO2 issues de la production d’énergie devront diminuer dans les prochaines décennies et baisser de 90% d’ici 2070. En parallèle, la part des énergies non carbonées dans la production d’électricité devra largement augmenter, pour passer de 30% aujourd’hui à plus de 80% en 2050.  

Toutefois, cette étude montre en même temps que la responsabilité individuelle tient elle aussi une part significative dans le changement climatique. En France métropolitaine, la part des émissions de CO2 des ménages s’élevait à 27% en 1998 d’après les chiffres de l’agence internationale de l’énergie (AIE). On notera que la part de la production d’électricité est de 14% en France contre 41.5% dans le monde. Cette différence est due à la politique électronucléaire française ayant débuté dans les années 1970, de la non utilisation du charbon et de l’importation de pétrole ou de gaz que la France consomme (respectivement 2% et 1% en 2002).


Evolution de la répartition des émissions de gaz à effet de serre (hors UTCATF) en France métropolitaine.

Au-delà des liens entre obésité et changement climatique, ce champ de recherche permet de remettre en question plus profondément le système dans lequel nous vivons mais aussi dont nous faisons partie. Dès lors, il semble déraisonnable de penser que les émissions puissent être suffisamment réduites par l’action unique de politiques pour que les émissions baissent sans que nous nous privions de consommer ce qu’il nous plait.

REFERENCE :

Global warming and obesity: a systematic review, R. An1, M. Ji1 and S. Zhang2, obesity reviews, february 2018, 19(2):150-163, doi: 10.1111/obr.12624 https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/obr.12624

https://leclimatchange.fr/attenuations-des-changements/

https://jancovici.com/

https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/agence-internationale-de-l-energie-aie

https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/